Avant la centralisation d'Internet, le RSS voulait donner le pouvoir aux internautes. Beaucoup d'erreurs un peu tristes l'en ont empêché.
Il y a une dizaine d’années, n'importe quel utilisateur d’Internet connaissait le RSS. « Really Simple Syndication » ou « Rich Site Summary » — la signification de l’acronyme dépend de votre interlocuteur — est un standard qui permet aux sites web et podcasts de proposer un fil de contenus à leurs utilisateurs, sous une forme facile à déchiffrer par de nombreux programmes informatiques. Aujourd’hui, bien qu’il continue à alimenter bon nombre d’applications sur le web, le RSS est largement tombé dans l'oubli.
Son histoire comprend deux volets majeurs. Le premier traite d'une vision globale de l’avenir du web qui n’a jamais vraiment porté ses fruits. Dans le second, un effort collaboratif pour l'amélioration d'un standard populaire a entraîné l'un des forks les plus controversés de l’histoire du développement open source.
À la fin des années 90, pendant l'âge d'or qui s'étend de l’entrée en bourse de Netscape à l'éclatement de la bulle Dot-com, tout le monde pouvait voir que le web allait surpasser les espérances — même si personne ne savait comment. Une des théories en vogue prétendait que la syndication allait bouleverser le web.
Le web, conçu à l’origine pour permettre une transaction simple entre deux parties — un client récupérant un document sur un serveur-hôte unique — allait être élargi par de nouveaux standards permettant de reconditionner et redistribuer des sites entiers via divers canaux. Pour Kevin Werbach, dans un article pour Release 1.0, une newsletter particulièrement influente parmi les investisseurs dans les années 90, la syndication allait devenir le « modèle principal pour l’économie Internet, ce qui permettrait aux entreprises et aux individus de garder la mainmise sur leur identité numérique tout en profitant des avantages d'échelle et d'envergure énormes. »
L’avenir du RSS semblait si prometteur. Que s'est-il passé ?
Kevin Werbach invitait ses lecteurs à imaginer un futur où les passionnés d’escrime, plutôt que de se rendre sur un site d’équipement sportif en ligne ou un détaillant spécialisé, pourraient acheter une nouvelle épée grâce à des widgets e-commerciaux intégrés à leur site d'escrime préféré. Comme dans l’environnement télévisuel américain, où de gros réseaux partagent leurs programmes avec des chaînes locales plus petites, la syndication du web devait permettre aux entreprises et médias d'atteindre les consommateurs à l'aide d'une multitude de sites intermédiaires. En conséquence, ces consommateurs auraient bénéficié d’un contrôle considérable sur l’endroit et la façon dont ils interagissent avec une entreprise ou une publication web.
Le RSS (entre autres standards) promettait de livrer cet avenir de syndication du contenu. Pour Werbach, RSS était un « exemple phare d'un protocole de syndication léger. » Un autre article de l'époque reconnaissait le RSS comme le premier protocole susceptible d'exploiter tout le potentiel du tout jeune XML Extensible Markup Language), un langage de balisage polyvalent similaire au HTML. Grâce au RSS, les agrégateurs de contenus et les utilisateurs allaient pouvoir créer leurs propres fils d'information personnalisés. Et pourtant, 20 ans plus tard, après le triomphe des réseaux sociaux et la fermeture de Google Reader, le RSS passe pour une technologie agonisante, utilisée essentiellement par les podcasters, les programmateurs de blogs techniques et, de manière sporadique, les journalistes. Bien que certains dépendent encore des lecteurs RSS, ajouter un flux RSS à votre blog, même en 2019, est un acte politique. La petite bulle orange est devenue un emblème nostalgique de défiance contre un web de plus en plus centralisé. Les rêves de syndication de Werbach sont loin, très loin.
L’avenir du RSS semblait si prometteur. Que s’est-il passé ? Sa chute était-elle inévitable, ou a-t-elle été précipitée par les luttes internes qui ont entravé le développement d’un standard RSS unique ?
En eaux troubles
Le RSS a été inventé deux fois. Il n’a donc jamais eu de réel propriétaire, une situation qui a engendré quantités de débats et d'inimitiés. Cela dit, elle indique aussi que le RSS était une idée importante et mûre.
En 1998, Netscape peinait à se projeter dans l’avenir. Son produit phare, le navigateur web Netscape Navigator — utilisé à l’époque par plus de 80% es internautes — perdait rapidement du terrain face à l'Internet Explorer de Microsoft. Netscape a donc décidé d'engager l'affrontement sur un autre terrain. En mai, l'entreprise a monté et placé une équipe sur un projet connu en interne sous le nom de « Project 60 », selon l’ouvrage Developing Feeds with RSS and Atom de Ben Hammersley. Deux mois plus tard, Netscape annonçait « My Netscape », un portail web conçu pour concurrencer d’autres portails tels que Yahoo, MSN et Excite.
Au mois de mars 1999, Netscape a annoncé le lancement d'une annexe au portail My Netscape, le « My Netspace Network ». Grâce à lui, les utilisateurs de My Netscape pouvaient customiser leur page personnelle pour qu’elle affiche des « chaînes » présentant les dernières nouvelles du web. Si votre site favori publiait un fichier spécial dans un format régi par Netscape, il pouvait être ajouté à votre page My Netscape d'un clic sur le bouton « Ajouter une chaîne » — à condition qu'il ait intégré ce bouton à son interface, bien sûr. Cette petite boîte contenant une liste de titres indexés apparaissait alors à l'écran.
Le fichier spécial publié par les sites participants était un fichier RSS. Dans le communiqué de lancement de My Netscape Network, Netscape explique que RSS signifie « RDF Site Summary ». Mais cette désignation est quelque peu erronée.
Le RDF, ou Resource Description Framework, est un « modèle de graphe » utilisé pour décrire certaines propriétés de ressources arbitraires. (Si ça vous excite, vous pouvez lire mon article sur le web sémantique.) En 1999, le World Wide Web Consortium (W3C), l'organisme de régulation des standards du web, a examiné une spécification provisoire pour le RDF. Le RSS était censé s’appuyer sur le RDF mais l’exemple publié par Netscape n’utilisait en fait aucune balise RDF. Dans un document accompagnant la spécification RSS de Netscape, Dan Libby, un des auteurs de cette spécification, explique que « dans cette version de MNN, Netscape a volontairement limité la complexité du format RSS. » Cette spécification a reçu le nom de version 0.90, ce qui laissait entendre que les versions ultérieures aligneraient davantage le RSS avec la spécification XML de W3C et le projet évolutif de la spécification RDF.
Le RSS avait été créé par Libby et deux autres employés de Netscape, Eckart Walther et Ramanathan Guha. Guha rapporte que Walther et lui ont concocté le RSS avec la contribution de Libby. Après le rachat de Netscape par AOL en 98, Walther et Guha ont quitté l’entreprise et Libby est devenu responsable du RSS. Guha a largement contribué au développement du RDF. Walther et lui envisageaient le RSS comme une application de ce format. Loupé : plus tard, Libby a écrit que la vision originale d'un RSS basé sur le RDF avait été abandonnée à cause de contraintes de temps, mais aussi parce le RDF semblait « trop complexe » pour un « utilisateur lambda ».
Pendant que Netscape s'échinait à conquérir plus d’utilisateurs dans la « guerre des portails », un nouveau phénomène est apparu sur la toile : le « weblogging ». L'un de ses pionniers était Dave Winer, le PDG d'UserLand Software, une entreprise spécialisée dans le développement de systèmes de gestion de contenus rendant le blogging accessible à tous. Winer tenait son propre blog, Scripting News (aujourd'hui l'un des plus vieux blogs toujours en activité). Plus d’un an avant l’annonce de My Netscape Network, le 15 décembre 1997, Winer a publié un post annonçant que son blog serait désormais disponible en XML et en HTML.
Le format XML de Dave Winer s'est fait connaître sous le nom de « format Scripting News ». La légende raconte qu'il ressemblait au Channel Definition Format de Microsoft
(un standard de « technologie push » soumise au W3C en mars 1997), mais je n’ai pas trouvé de fichier dans le format d’origine pour en attester. Comme le RSS de Netscape, le format Scripting News organisait le contenu du blog de Winer pour qu’il puisse être compris par d’autres applications logicielles. Lorsque Netscape a lancé RSS 0.90, Winer et UserLand Software se sont adaptés pour accepter les deux formats. Ce qui n'empêchait pas Winer de penser que le format de Netscape était « cruellement inadapté » et « passait à côté des besoins primaires des rédacteurs web et des lecteurs. » En effet, RSS 0.90 ne pouvait représenter qu'une liste de liens tandis que le format Scripting News pouvait représenter une série de paragraphes contenant un ou plusieurs liens.
En juin 1999, deux mois après l’annonce de My Netscape, Winer a lancé une nouvelle version du format Scripting News : ScriptingNews 2.0b1. Winer affirmait alors qu’il avait décidé de faire progresser son propre format après avoir essayé, sans succès, d'attirer l'attention de Netscape sur les défauts de RSS 0.90. Grâce à ses nouveaux éléments, ScriptingNews 2.0b1 était presque identique au RSS. Presque, car le format Scripting News, que Winer désignait comme un format de syndication « gras », pouvait comprendre des paragraphes entiers plutôt que de simples liens.
Le mois suivant, Netscape a enfin publié RSS 0.91, une mise à jour en forme de volte-face. RSS ne signifiait plus « RDF Site Summary », mais « Rich Site Summary ». Tout le RDF — du moins le peu qu'il en restait — avait disparu, remplacé par de nombreuses balises issues du Scripting News. Dans le texte de la nouvelle spécification, Libby explique :
Références RDF supprimées. À l'origine, RSS a été conçu comme un format de métadonnées proposant un résumé d’un site web. Deux choses sont devenues limpides : un, les fournisseurs recherchaient un format de syndication plutôt qu’un format de métadonnées. La structure d’un fichier RDF est très précise et doit se conformer au modèle de données RDF afin d’être valide. C'est difficile à comprendre pour un humain, et ça peut compliquer la création de fichiers RDF utiles. Deux, peu d’outils sont disponibles pour la génération, la validation et le traitement de RDF. Pour ces raisons, nous avons opté pour une approche XML standard.
Winer était si content de RSS 0.91 qu'il l'a décrit comme « encore meilleur [qu'il] ne [s'y attendait]. » UserLand Software l’a d'ailleurs adopté pour remplacer son format ScriptingNews 2.0b1. Enfin, le RSS semblait régi par une spécification officielle. Cela n'a pas duré.
Le grand fork
Plusieurs personnes se sont alors dressées contre Winer : Rael Dornfest d'O’Reilly, Ian Davis (responsable de la start-up de recherche Calaba) et le très précoce Aaron Swartz, 14 ans à l’époque. Le même Aaron Swartz deviendrait plus tard le fondateur de Reddit et un célèbre hacktivist. Contacté par mail, Davis explique que le père de Swartz accompagnait régulièrement son fils à des rencontres tech en 2000. Dornfest, Davis et Swartz pensaient tous que le RSS nécessitait des espaces de nommage afin d’accommoder les nombreux désirs des utilisateurs. Dans une autre mailing list hébergée par O’Reilly, Davis a donc proposé un système de module basé sur un espace de nommage, arguant qu'un tel système « rendrait le RSS aussi malléable que possible plutôt que d’intégrer des nouvelles fonctionnalités qui le compliqueraient inutilement. » Le camp favorable aux espaces de nommage considérait que le RSS serait bientôt utilisé pour bien plus que le partage de posts de blogs. Pour ses membres, les espaces de nommage étaient la seule façon de garder le contrôle du RSS au fil de son évolution. Aux sources de ces différends couvait un conflit plus profond sur la raison d'être même du RSS. Winer avait inventé son format Scripting News pour syndiquer les posts de son propre blog. Netscape avait lancé le RSS en tant que « RDF Site Summary » parce qu'il permettait de recréer un site en miniature au sein du portail My Netscape. Pour certains, la vision de Netscape devait être respectée. Davis explique son point de vue dans un message à la Syndication mailing list : puisque le RSS avait « été conçu comme un moyen de construire des mini-sitemaps », il voulait à présent que lui et d’autres développent le RSS pour qu'il « englobe des types d’informations plus variés que de simples gros titres et de s'adapter aux nouveaux usages du RSS qui ont émergé au cours des 12 derniers mois. » Cette perception de la situation surestimait la cohérence des visions au sein de Netscape : contacté par mail, Libby affirme que le développement du RSS a été marqué par l'opposition d'un groupe « Construire la toile sémantique » et d'un groupe « Faciliter la rédaction pour les utilisateurs ».
En réponse au post de Davis, Winer défend une autre version des évènements. Il explique que son format Scripting News était en fait le premier RSS, et qu'il le destinait à d’autres fins. Étant donné les désaccords entre les acteurs du développement du RSS sur sa raison d'être et l'identité de son créateur, un fork semblait inévitable.
Le fork s’est produit après que Dornfest a proposé une spécification RSS 1.0 et formé le RSS-DEV Working Group — dont Davis, Swartz et d’autres, mais pas Winer, faisaient partie — pour préparer son lancement. Dans la spécification proposée, RSS signifiait à nouveau « RDF Site Summary » car le RDF avait été rappelé pour représenter les propriétés de métadonnées de certains éléments RSS. La spécification mentionne le nom de Winer et le crédite pour la diffusion du RSS par son « évangélisme » . Mais le document indique également que le RSS ne pouvait pas être amélioré de la façon dont Winer le souhaitait. Se contenter d'ajouter plus d’éléments au RSS sans accroître son extensibilité avec un système modulaire « sacrifierait sa scalabilité ». La spécification définissait donc un système modulaire reposant sur les espace de nommage XML.
Winer considère comme « injuste » que le RSS-DEV Working Group se soit attribué le nom « RSS 1.0 ». Dans une autre mailing list sur la décentralisation, il écrit que l'« un de [ses] standards a récemment été volé par un grand nom » , probablement en référence à O’Reilly, qui avait organisé le RSS-DEV Working Group. D’autres membres de la Syndication mailing list ont également considéré que le RSS-DEV Working Group n’aurait pas dû utiliser le nom « RSS » sans accord unanime de la communauté sur la direction du RSS. Le Working Group a tout de même conservé le nom. Dan Brickley, un autre membre du RSS-DEV Working Group, a défendu son choix en expliquant que « la proposition RSS 1.0 est fermement ancrée dans la vision d’origine du RSS, qui découle elle-même d’une longue tradition remontant au MCF (un précuseur du RDF) et ses specs associées (CDF etc). » Il estimait que le projet RSS 1.0 méritait plus ce nom que le RSS défendu par Winer, essentiellement parce que le RSS « original » comprenait du RDF. Le RSS-DEV Working Group a publié une version finale de sa spécification en décembre. Le même mois, Winer a lancé sa propre amélioration de RSS 0.91, le RSS 0.92, sur le site UserLand. RSS 0.92 offrait plusieurs petites améliorations optionnelles, notamment l'ajout d'une balise dont les podcasteurs se sont vite emparés. Le fork du RSS était officiel.
Ce fork aurait pu être évité si le RSS-DEV Working Group avait fait l'effort d'accueillir et soutenir Winer. Il avait sans aucun doute sa place dans le groupe ; c’était un contributeur majeur de la Syndication mailing list et il était en grande partie responsable de la popularité du RSS, comme en ont témoigné les autres membres du groupe. Dans un mail, Davis déplore cependant que Winer « voulait tout contrôler et voulait que le RSS soit son accomplissement personnel, c’est pourquoi il était si réticent à travailler avec nous. » Selon ses dires, Winer aurait refusé de collaborer. Tim O’Reilly, fondateur et PDG de O’Reilly, l’a expliqué dans un groupe de discussion en septembre 2000 :
Un groupe d’individus impliqué dans le RSS s’est réuni pour commencer à réfléchir à son évolution. Dave faisait partie de ce groupe. Lorsque l’avis général du groupe a pris une direction qui ne lui convenait pas, Dave a interrompu sa participation et prétendu qu'O’Reilly complotait pour s’emparer du RSS, en dépit du fait que Rael Dornfest d'O’Reilly n'était qu'un individu parmi la dizaine d'auteurs du RSS 1.0, et que la plupart des participants à son développement avaient autant d’expérience du RSS que Dave.
Winer a répondu en ces termes à Tim O’Reilly :
J’ai rencontré Dale [Dougherty] deux semaines avant l’annonce et il n’a jamais mentionné le nom de RSS 1.0. Je me suis entretenu par téléphone avec Rael le vendredi précédant l’annonce, et encore une fois, aucune mention du RSS 1.0. La première fois que j’en ai entendu parler, c'était le jour de l’annonce.
Laissez-moi vous poser une question simple : si on découvre que le nom « RSS 1.0 » a été choisi en privé, sans accord ni consultation, ou sans possibilité pour les membres de la liste Syndication, moi compris, de donner leur aval, qu'est-ce que vous allez faire ?
UserLand a énormément travaillé pour créer, populariser et soutenir le RSS. Nous nous en sommes éloignés et nous vous avons laissé utiliser le nom. C’est le maximum. Si je veux continuer à travailler sur la syndication, je vais devoir utiliser un nom différent. Pourquoi et comment est-ce arrivé, Tim ?
Je n’ai trouvé aucune discussion dans la mailing list évoquant l’utilisation du nom RSS 1.0 avant l’annonce de la proposition de RSS 1.0. Winer explique dans un message que son but n’était pas de contrôler le RSS mais juste de l’utiliser pour ses propres produits.
RSS a connu un autre fork en 2003, lorsque plusieurs développeurs lassés des querelles de la communauté se sont regroupés pour créer un tout nouveau format. Ces développeurs ont par la suite créé Atom, un format qui s'éloignait du RDF pour mieux adopter les espaces de nommage XML. Atom a par la suite été transformé en standard soumis à la Internet Engineering Task Force, l’organisation responsable de la création-promotion des « bonnes conduites » Internet. Après l’introduction d’Atom, trois versions du RSS étaient donc en concurrence : RSS 0.92 de Winer (mis à jour en RSS 2.0 en 2002 et renommé « Really Simple Syndication »), RSS 1.0 de RSS-DEV Working Group et Atom. RSS 2.0 et Atom sont les plus utilisés aujourd'hui.
Retraite
La prolifération de spécifications RSS concurrentes a probablement entravé le RSS d’autres façons sur lesquelles nous reviendrons bientôt. Le RSS est quand même devenu extrêmement populaire pendant les années 2000. Le New York Times l'a adopté en 2004, publiant même un article expliquant aux non-initiés ce qu’était le RSS et comment l’utiliser pour l'occasion. Google Reader a conquis des millions de personnes entre son lancement en 2005 et sa fermeture en 2013. Cette année-là, le RSS était encore assez populaire pour que le New York Times, dans la nécrologie d’Aaron Swartz, le qualifie d'« omniprésent ». Pendant un temps, juste avant qu’un tiers de la planète ne s'inscrive sur Facebook, RSS a été l'outil d'information numérique incontournable.
Malheureusement, la syndication du web moderne se fait toujours par l'intermédiaire d'un très petit nombre de canaux : personne ne peut vraiment « contrôler son identité numérique » comme l’avait imaginé Werbach.
Le New York Times a publié la nécrologie de Swartz en janvier 2013. Le RSS avait alors changé de direction et était en passe de devenir une technologie obscure. Google Reader a fermé six mois plus tard, manifestement parce que son nombre d’utilisateurs était en chute libre. Plusieurs titres et observateurs ont alors annoncé la mort du RSS. Ce n'était pas la première fois ; en fait, le RSS était présenté comme agonisant depuis des années. En mai 2009, Steve Gillmor recommandait dans TechCrunch de « complètement abandonner RSS et de se tourner vers Twitter », au motif que « RSS ne fonctionn[ait] juste plus ». À son goût, Twitter était un flux RSS « en mieux » car il permettait de rattacher une opinion personnelle à un article donné. Cela permettait de suivre des individus plutôt que des chaînes. Gillmor conseillait ainsi à ses lecteurs de laisser le RSS se retirer en paix. Son article se termine par un couplet de « Forever Young » de Bob Dylan.
Aujourd’hui, le RSS continue de s'accrocher à la vie. Bien sûr, il n’est plus aussi populaire qu’autrefois. De nombreux avis ont été émis quant aux raisons de cette perte de vitesse. L’explication la plus convaincante est sans doute celle de Gillmor : les réseaux sociaux, tout comme le RSS, offrent un feed présentant toutes les dernières nouvelles d'Internet. Ce sont ces fils d'actualité améliorés seraient responsables du déclin du RSS. Ils offrent également plus d’avantages aux entreprises qui les détiennent. Ainsi, certains observateurs ont accusé Google d'avoir clôturé Google Reader pour encourager les utilisateurs à s’inscrire sur Google+ — contrairement à Google Reader, Google+ pouvait être monétisé. Marco Arment, le créateur d’Instapaper, écrivait sur son blog en 2013 :
Google Reader est la dernière victime de la guerre déclarée par Facebook, apparemment par accident : la bataille pour tout posséder. Alors que Google « possédait » en théorie Reader et pouvait exploiter l’énorme quantité de news et de données d'attention qu'il véhiculait, il gênait la stratégie de l'entreprise pour Google+. Google souhaitait que tous les utilisateurs lisent et partagent du contenu via Google+ afin de pouvoir concurrencer Facebook au niveau du ciblage et des recettes publicitaires, de la croissance et de la pertinence.
Et soudain, les utilisateurs et les entreprises de la tech ont compris que les réseaux sociaux offraient plus d'opportunités que le RSS.
Une autre théorie affirme que le RSS était trop « geeky » pour les gens « normaux ». Même le New York Times, qui semblait excité à l'idée d'adopter et promouvoir le RSS, s’est plaint de son manque de convivialité en 2006, étrillant au passage un acronyme inventé par des « geeks de l'ordinateur ». Avant la conception de l’icône en 2004, des sites comme le New York Times envoyaient vers leurs flux RSS en utilisant des petites boites oranges proclamant « XML », ce qui a sans doute intimidé les lecteurs. L’appellation était malgré tout exacte car, à l’époque, cliquer sur le lien amenait l’utilisateur malheureux sur une page remplie de XML. Ce tweet incarne parfaitement cette explication sur le déclin du RSS :
Les utilisateurs ordinaires n’ont jamais été à l’aise avec le RSS : trop peu adapté à la grande consommation, trop compliqué. Dès qu'un concurrent solide s'est présenté, ils l'ont donc abandonné.
Un effort de développement plus poussé aurait peut-être permis au RSS de dépasser certaines de ces limites. D'ailleurs, il aurait sans doute pu être étendu pour permettre aux utilisateurs de se connecter les uns aux autres pour syndiquer leurs avis sur un article. La compatibilité avec les navigateurs aurait pu être améliorée. Mais, alors qu’une entreprise comme Facebook a été capable de « progresser rapidement et d’innover », la communauté des développeurs RSS a perdu son temps à chercher un consensus. Lorsque les négociations sur un standard unique ont échoué, ils ont investi l'énergie qui aurait pu être allouée à l'amélioration du RSS dans la reproduction de tâches déjà traitées. Par exemple, Davis soutient qu’Atom n’aurait pas été nécessaire si les membres de la mailing list avaient été capables de faire des compromis et de collaborer. Il ajoute : « Tout le travail de maintenance aurait pu contribuer à renforcer le RSS. »
Pourquoi le RSS n’est-il plus populaire ? Parce que les réseaux sociaux l’ont remplacé, peut-être. Mais pourquoi les réseaux sociaux ont-ils pu le remplacer ? Peut-être que ceux qui ont essayé de lancer le RSS vers le succès se sont heurtés à des tâches plus compliquées que, par exemple, le développement de Facebook. Comme l’a écrit Dornfest sur la Syndication mailing list, « à l’heure actuelle, les tractations internes posent plus problème que la sérialisation. »
Aujourd’hui, beaucoup d'internautes sont prisonniers de silos d’informations centralisés. Le web syndiqué imaginé par Werbach en 1999 existe quand même, mais pas de la façon dont il pensait. Après tout, The Onion est une publication qui repose sur la syndication via Facebook et Twitter comme Seinfeld reposait sur la syndication pour ratisser des millions de spectateurs, même après sa première diffusion. J’ai demandé son avis à Werbach : il est plus ou moins d’accord avec cette théorie. Pour lui, d’un côté, le RSS a clairement été un échec, car il n'est pas « une technologie au cœur du monde du blogging ou des contenus, ou même d’assemblage de différents éléments dans un site. » Mais de l’autre côté, « la révolution portée par les réseaux sociaux est partiellement basée sur leur capacité à rassembler différents contenus et ressources » d’une manière rappelant le RSS et sa vision originale d’un web syndiqué. Pour Werbach, « c’est le legs du RSS, même si ce n’est pas construit sur du RSS. »
Malheureusement, la syndication du web moderne se fait toujours par l'intermédiaire d'un très petit nombre de canaux : personne ne peut vraiment « contrôler son identité numérique » comme l’avait imaginé Werbach. La voracité typique des grosses entreprises n'est pas étrangère à ça — RSS, un format ouvert, ne permettait pas aux grands acteurs de la tech de contrôler les données et les cerveaux dont ils ont besoin pour vendre de la pub. Sans surprise, elles ont donc choisi de ne pas l’adopter. Autre explication, plus banale : les silos centralisés sont juste plus faciles à concevoir que des standards communs. Le consensus est difficile à atteindre, mais sans consensus, les développeurs frustrés quittent le navire et créent des standards concurrents. La leçon à retenir est que si nous voulons un web meilleur et plus ouvert, nous devons apprendre à mieux travailler ensemble.
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Source: Motherboard